Témoignage d'un technicien de surface

« Je m'appelle Jean-Luc Bourguignon. Je vais sur mes 45 ans, déjà. Il y a quelques années, ma femme a emporté nos enfants et entamé une procédure de divorce. C'était une femme bavarde et vénale. Et à cette époque là, j'étais incapable de nourrir mes drôles. Je venais d'être renvoyé, suite à une banale dispute avec un client du supermarché dans lequel je travaillais. Même si le client était plus con que mes pieds, et que j'avais des témoins, la direction n'a pas hésité. Après tout, un inconvenant comme moi de moins dans leur boîte, ça ne pouvait être que positif. Je passais ma vie au bar avant de rentrer dormir. Les économies que je ramenais chez moi étaient dépensée par mon épouse. Vilaine femme ! A croire que ma première erreur a été de tomber amoureux. L'amour rend aveugle, il paraît ! Alors elle s'est tiré avec un autre type. Un mec qui peut s'acheter des costard et qui lui offre des bijoux. Ouais, un mec friqué, quoi. Moi, depuis son départ, j'ai survécu. Ma panse s'est remplie de bière et de vinasse. J'ai enflé comme un ballon, sans jamais éclater. Quel dommage, les poulettes se retourneraient peut-être davantage, si j'étais plus mince ! Deux ans après que la mère de mes gosses soit partie, je me suis retrouvé sans le sou, à réaliser qu'il fallait que je me reprenne un peu. Mais avec quoi ? J'ai passé ma vie à glander, et mes études n'ont mené à rien. Finalement, j'ai trouvé un poste. Technicien de surface. Ouais, pas le rêve, mais au moins, j'avais un salaire stable ! Mon patron, M. Moreau était un gars ambitieux mais toujours respectueux. Même si j'ai un tempérament de feu, je n'ai jamais eu à m'énerver ou quoi que ce soit. La DailyLama Production -un peu bizarre, ce nom !-, a alors explosé. On en a vu passer, des clients. Et pas que des français, moi, je vous le dis. Des anglais et même des chinois, aussi ! Je les ai croisé, parfois, ces jaunes aux yeux tirés. Et ils se croient malins, ouais ! Et puis, en 2008, la crise. Cette garce. Tout autant que ma femme. Elle arrive comme une fleur et vous baise votre fric ! Les chintocks ne sont plus revenus autant qu'avant et ont disparu. Ca fait du bien aux oreilles, mais pour manger le soir, vous les regrettez ! J'ai finalement été viré à mon tour. Le patron a toujours été gentil, et jusqu'au bout, il m'a aidé, le bougre. Un homme de parole. Il m'a filé une avance et s'est arrangé pour que je parte dans les derniers. A croire que j'étais un peu indispensable, aussi. Il y a quelques mois, alors que je mangeais des chips devant le foot, une poulette m'a appelé. C'était Ella Moreau, la fille de mon ancien boss. Je l'avais déjà vue courir dans les couloirs. Une brave gosse. Et là, qu'elle m'annonce que je suis réengagé. J'étais super content. Qu'elle ait pensé à Jean-Luc, ça me touche. Droit au coeur. J'étais là pour l'inauguration du nouveau bâtiment. L'ancien, mais tout rénové, en fait. J'ai commencé à travailler en même temps qu'elle. Et comme son père, elle gère. C'est une fille droite et efficace, avec un coeur d'or. Petit à petit, on a entendu parler de DailyLama dans les journaux, j'étais aux anges. Tout le monde semble occupé et personne mis de côté. Je nettoie mes toilettes et répare les fuites d'eau. Et j'ai mon salaire. Le pied !
Par contre, il m'est arrivé un truc bizarre. Etrange, suspect et j'en passe. Enfin, deux choses bizarres. Et je ne sais pas laquelle est la plus incroyable. Il y a quelques semaines, alors que j'allais chercher un sandwich, j'ai croisé un truc pas commun. C'était un... Dindon ? Je n'ose pas trop y croire. Mais les rumeurs vont bon train, apparemment, je ne suis pas le seul. D'autres ont même croisé un Lama. La bestiole qui te crache à la gueule au zoo. C'est gros, ça pue, ça crache. Impossible qu'on ne l'ait pas tous vus. Et surtout... Impossible qu'il se cache un Lama dans les locaux ! J'aurai été le premier au courant. Enfin, je suis le doyen quoi. Mais pire encore, suite à cette rencontre peu orthodoxe, j'ai eu des symptômes super désagréables. J'avais la langue qui me démangeait et je me suis rendu compte d'un truc. Mais d'un truc de fou ! Ma salive colle. Mais pas comme quand on lèche une enveloppe quoi, comme si c'était de la glue. Ne me demande pas comment j'ai réalisé ce... don ? Mais finalement, j'y ai trouvé son utilité, à ma salive. Je rebouche les tuyaux troués. Je recolle les portes-savons usés. Bon, évidemment, je ne peux plus tourner les pages de mes livres. Et j'ai pas intérêt à éternuer n'importe comment. Pour l'instant, personne n'est au courant. Je ne veux pas que d'autres profitent de ce que je sais faire attend ! Imagine si je finis en cobaye pour des scientifiques ou je ne sais pas quoi encore ! Hors de question. Je veux continuer de regarder mon foot en toute tranquillité. Mais parfois, en passant dans les couloirs, ou en nettoyant un bureau, j'entends et je vois des choses étranges. Le pire, c'était hier matin. Le coup du cookie qui marche, je ne m'en remettrai jamais. A croire qu'il y a quelque chose qui ne tourne pas rond, ici... »

J.L. Bourguignon, 26 février 2013.